Lorsque je suis partie en Colombie, ce fut bien plus qu’un simple voyage. Ce pays, avec sa palette infinie de couleurs, ses paysages contrastés, et son énergie brute, s’est inscrit dans ma mémoire comme un carnet de croquis intérieur. De retour, je me suis retrouvée avec 1 700 photos, des fragments de vie et de lumière que je garde précieusement. Elles sont rangées avec un soin méticuleux, presque maniaque, suivant un système qui s’inspire directement de l’Atlas de Gerhard Richter.
L’Atlas de Gerhard Richter : Une inspiration pour la mémoire
Pour ceux qui ne le connaissent pas, l’Atlas de Richter est une immense archive visuelle. C’est une collection de photos, croquis, et images diverses que l’artiste considère comme une banque de données personnelles, un outil de travail. Chaque photo, bien qu’apparemment anodine, devient une source d’inspiration pour ses œuvres. Ce projet, qui s’étale sur des décennies, révèle à la fois la rigueur et la sensibilité d’un artiste face à la mémoire visuelle.
De la même façon, mes 1 700 photos prises en Colombie sont rangées, classées, archivées. Elles ne sont pas juste des souvenirs, mais des fragments à transformer. Comme Richter, j’utilise ces images pour m’en détacher, les oublier partiellement, et revenir ensuite à ma toile. Car l’art ne réside pas dans la copie fidèle, mais dans la transformation par la mémoire.
Une mémoire subjective, une vision recomposée
C’est dans ce travail de métamorphose que réside toute la magie. Après avoir soigneusement sélectionné certaines images, je les laisse s’imprégner dans ma mémoire. Puis je les transforme, délibérément.
Je mélange les souvenirs, les couleurs vives que j’ai croisées — le rouge des fleurs, l’orange omniprésent, le bleu profond de la mer et le vert intense de la sierra Nevada. Tout cela se recompose sur mes toiles, mais jamais de façon réaliste. J’explore la limite entre figuration et abstraction, une zone trouble où le spectateur peut projeter sa propre émotion.
La photo ci-jointe est un bon exemple. Une vue presque parfaite : une piscine reflétant les ombres des palmiers, le bleu de l’eau qui fusionne avec celui de la mer en arrière-plan, et cette lumière dorée de fin de journée. Pourtant, lorsque je travaille sur ce genre d’image en peinture, tout change. La ligne nette entre les éléments disparaît, l’eau devient mouvement, les couleurs vibrent différemment. Peut-être que le palmier sera remplacé par des fils électriques, peut-être que le bleu deviendra rouge.
Tout cela parce que la mémoire n’est jamais linéaire, elle est émotive, fluctuante.
L’importance des couleurs vives : Résilience et vie
En Colombie, j’ai été frappée par la présence des couleurs. Elles semblent exprimer quelque chose de plus profond : une résilience collective, une capacité à célébrer la vie malgré les difficultés. Là où d’autres verraient de la violence ou des contrastes insurmontables, j’ai vu un peuple qui peint ses maisons, ses murs, ses rues. La couleur comme acte de résistance, comme joie affirmée.
C’est ce que je veux retranscrire dans mes œuvres : des toiles vibrantes, où la couleur n’est pas là pour décorer, mais pour raconter une histoire. Le rouge qui symbolise le sang mais aussi la vie. Le jaune qui évoque à la fois la lumière et les routes qui s’étirent sans fin. Le bleu, celui des mers et des cieux, mais toujours en mouvement.
Entre chaos et structure : L’archaïsme des fils électriques
Un autre élément que je garde précieusement dans mon œil d’artiste est le côté graphique des fils électriques. Ils sont partout en Colombie, comme des veines apparentes dans les paysages. Ils créent une structure presque chaotique qui contraste avec la nature environnante. En France, ces détails disparaissent souvent dans un monde trop organisé.
Dans mes toiles, j’aime jouer avec cette opposition : l’archaïsme et la modernité, le désordre et l’ordre. Les fils deviennent des lignes graphiques, des éléments presque abstraits qui guident le regard.
Transformer l’instant en émotion
Chaque photo prise pendant ce voyage contient un instant figé. Mais la peinture me permet de faire revivre cet instant autrement. Je ne me contente pas de reproduire une scène, je veux y insuffler un mouvement, une énergie propre à la peinture.
Lorsque je regarde la photo de la piscine et du palmier, ce n’est pas la beauté parfaite du lieu qui m’intéresse. C’est la façon dont cet espace peut évoluer sur ma toile. Le réflexe du palmier dans l’eau deviendra peut-être un mirage, une apparition floue qui invite à la rêve. Le bleu limpide de l’eau pourrait être troublé par des strates de rouge et d’ocre.
Ainsi, la photo devient une base, mais jamais une fin. Elle est le point de départ d’une exploration plus intime.
La Colombie comme une série de contrastes
Ce voyage a résonné avec ma propre histoire et celle de mes enfants adoptés en Colombie. C’est un pays de paradoxes, de blessures, mais aussi de fierté. Chaque paysage, chaque rue, chaque regard capturé dans mes photos porte en lui une part de résilience.
Quand je peins, je cherche à retranscrire cette complexité. Je mélange les éléments : les montagnes majestueuses avec des touches de modernité urbaine, les couleurs vives avec des ombres plus sombres. Car c’est cela aussi, la Colombie : une dualité constante, un équilibre fragile mais puissant.
Vers une nouvelle série de toiles
Je ressens une urgence à peindre ces souvenirs transformés. Chaque toile sera comme une pièce de ce puzzle immense que représente la Colombie pour moi. Le spectateur n’aura pas besoin de connaître l’origine de chaque image, mais il y trouvera, je l’espère, une trace universelle : celle du passage du temps, de la mémoire recomposée, et de la vie qui continue.
Cette photo, comme les 1 700 autres, n’est qu’une étape. Une fois passée par le filtre de ma mémoire et de mon pinceau, elle deviendra autre chose : une œuvre singulière, un écho de mon voyage, et peut-être du vôtre.
À suivre…
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